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c’est le dépaysement total. Sur la place du marché, en me voyant, un petit garçon part en pleurant : je ne dois vraiment pas être beau à voir. Le soir au dîner, je me souviens d’une sauce verte et gluante qu’il faut enrouler par un mouvement elliptique autour d’une boule de céréale, la cuisine en brousse est très simple et demande, à nous occidentaux un certain goût de l’exotisme. Le lendemain, in pédibus, je rejoins la piste qui va à Bankass, au milieu de nulle part, j’attends patiemment qu’un taxi-brousse veuille bien passer. J’arrive à Ouahigouya en Haute-Volta un dimanche, les banques sont fermées et je n’ai plus un franc CFA sur moi ; ma bonne étoile me guide vers un restaurateur très sympa qui accepte de me faire crédit. L’athée que je suis décide d’aller faire un tour à l’église voir comment se passe une messe en Afrique noire. Pendant l’office, la personne devant moi se retourne, me tend sa main et me dit quelque chose comme : « la paix du Christ …» ; ne comprenant pas, je la lui serre en répondant : « ça va merci ! et vous aussi ça va ? » Heureusement que je ne continue pas avec : Et la famille ça va ? La santé ça va ? Le voyage ça va ?
Arrivé à Ouagadougou, deux gros problèmes me tombent dessus: je n’ai presque plus d’argent et je tombe malade. C’est la saison des pluies, il fait chaud, humide, je suis dans un sale état. L’innocent que je suis est partit avec presque rien, pensant trouver du travail en cours de route, je suis vraiment trop nul. Mon état est pitoyable… je préfère ne pas rentrer dans les détails, je prends la décision qu’il s’impose, je rentre en France. J’ai de quoi payer un taxi-brousse jusque Niamey, l’avion jusque Alger et le bateau pour Marseille. Le voyage en Afrique est finit, ce n’est pas grave je sais que je reviendrai.
Sur le pont du ferry une surprise m’attend, je retrouve un des deux Michel. On se raconte nos voyages respectifs, on s’échange nos adresses. En septembre, je reçois une lettre dans laquelle il me propose d’acheter une voiture et de partir avec lui en voiture en Afrique. La décision est vite prise ! Je trouve une magnifique 404 blanche pour seulement 600 francs. Aussitôt achetée, direction l’Espagne sans oublier de rendre visite à l’autre Michel dans le Midi. Le moteur, une véritable horloge mais pour la carrosserie, je ne mets pas longtemps à m’apercevoir, que les passages de roues et le plancher sont un véritable gruyère. Sur la piste le sable mou devient ma hantise, des nuages de poussière envahissent l’habitacle au point de ne plus rien voir. Je garde gravée au fond de ma mémoire cette traversée du Sahara au volant de cette voiture mythique qu’est la 404. Bien sûr, nous avons eu droit à quelques bons ensablements, quelques petits soucis mécaniques mais c’est ce genre de petits trucs qui construisent les bons souvenirs. Cet espace, cette sensation de liberté, le voyage, le plaisir de conduire sur la piste du Tanezrouft, la plus grande plage du monde, c’est un bonheur à l’état pur, celui qui vous donne la folle envie de recommencer.
Michel a des amis à Tessalit, Aguel’hoc fait basculer ma vie. J’y rencontre Ehat, commerçant et éleveur : il est très intéressé par ma voiture, il la veut vraiment. On discute, on palabre, on rediscute, il faut parler, pas de problème de ce côté-là, j’adore ça. On boit le thé, on marche main dans la main, on finit par se mettre d’accord, le courant passe tant et si bien que je suis même d’accord pour lui faire crédit de la moitié de la somme. Pour rejoindre Adrar en Algérie, Ehat me trouve un camion. Cette fois, la traversée se fait avec des moutons. Le principe est simple : les camions transportent vers le Mali des dattes, du sucre, du thé et bien d’autres marchandises cachées sous les sacs, et vers l’Algérie des moutons et des chameaux. Adrar… Alger… puis de nouveau le bateau jusque Marseille.A peine arrivé en France, j’achète une nouvelle voiture et repars vers le Sud avec un copain, bien entendu, chacun sa voiture, cette fois-ci, c’est moi le guide, j’ai vite pris du galon. Quelques semaines plus tard je retrouve Ehat, rares sont ceux qui vendent à crédit, en bon innocent, j’ai osé le faire. Je récupère le
 
solde de la vente, bon…, il en manque un peu, mais ce n’est grave, grâce à ce geste je suis devenu connu. Je suis celui qui a osé faire crédit, mais aussi comme celui qui a récupéré son argent. A cette époque, Kidal est interdit aux touristes et nombreux sont les touaregs qui achètent des voitures à Tessalit ou Aguel’hoc pour aller les revendre là-bas, c’est ce qu’a fait Ehat avec la 404.
Cet hiver-là, j’effectue cinq voyages en voiture. Ehat et moi sommes devenus de très bons amis, sa famille m’a adopté et particulièrement sa mère. Je
vais souvent manger et dormir au campement ; j’y retrouve ses sœurs Bakita, Wanaka, sa femme Aïcha, belle comme un cœur, malheureuseu-ment disparue trop tôt, leurs enfants dont l’aînée Zeïna si belle, si gentille et si gracieuse que lorsque notre fille naît en 1990, ma femme et moi